1. Révélé dans l'infortune

Eti Sigrele Gabatine

À la tombée de la Noctis Aeterna, un raz-de-marée déferla sur la galaxie tout entière. La Mer des Âmes engloutit d'innombrables mondes dans ses torrents de cauchemars, broyant la matière de ses vagues démoniaques. Elle refoula également de manière abrupte dans le Materium un grand nombre de vaisseaux, tous isolés dans leur bulle de réalité, tous dans l'ignorance du destin tragique de Cadia. La plupart put tout juste observer avec effroi les soudains flots éthérés avant que ceux-ci ne se fracassèrent sur leurs champs de Geller, anéantissant leur existence en l'espace d'un instant. D'autres, bien plus rares, parvinrent à traîner les carcasses de leurs vaisseaux tout juste hors du sillon de la Cicatrix Maledictum. La flotte d'Exploration Cognos Kathartis du Basilikon Astra était de ceux-là.

Les détails qui menèrent à l'émergence catastrophique de la flotte ne furent jamais pleinement consignés — certaines expériences défiaient sans doute même l'implacable logique de l'Adeptus Mechanicus. Les rapports se contentèrent de mentionner des « turbulences imprévues d'une magnitude exceptionnelle ». Les commissions ultérieures ne se satisfèrent jamais de cet euphémisme, blâmant l'Archmagos Explorator Eti Sigrele Gabatine pour la destruction et l'endommagement de tant de précieux vaisseaux. Néanmoins, nul ne démit Gabatine de ses fonctions, car ce qu'ils découvrirent surpassait probablement leurs pertes.

D'abord confus quant à leur position, les restes de la flotte Cognos Kathartis dérivèrent péniblement jusqu'au système stellaire le plus proche ; malgré son absence de leurs données cartographiques, il leur fallait trouver de l'aide au plus vite. Ce qu'ils y constatèrent ne fit qu'approfondir leur perplexité, car en orbite autour de l'étoile blafarde se trouvaient une planète de classe η — un Monde Ruche — et ce qui semblait être un Monde Forge endormi.

Gabatine ordonna promptement une reconnaissance approfondie du système. Les Auspex, bien qu'endommagés, ne laissaient aucun doute : ce Monde Forge portait les stigmates architecturaux caractéristiques du Mechanicum. De surcroît, les rares transmissions vox interceptées depuis l'autre planète crépitaient dans un dialecte bas-gothique. Comment un système impérial, et plus important encore un Monde Forge pouvaient être absents de leurs banques d'information ?

Par hubris ou par précaution, l'Archmagos décida en premier lieu de tenir la flotte au silence, préservant sa découverte loin des regards trop curieux de ses maîtres — ou pire encore, de l'Imperium. Les protocoles auraient exigé qu'il contacte immédiatement le Mechanicus de Mars et l'Administratum de Terra. Mais Monde Forge oublié, riche en archéotechnologie, représentait une aubaine trop précieuse pour être partagée prématurément. Les hordes de bureaucrates et d'archi-comptables auraient tout le temps de le noyer sous la paperasse plus tard.

Le destin moqueur, comme à l'accoutumée, s'empresserait cependant de lui forcer la main : à peine quelques semaines standard après leur arrivée dans le système, les Auspex détectèrent une signature Warp en approche. Puis une autre. Puis une dizaine. Bientôt, les signatures étaient trop nombreuses et erratiques pour qu'on se souciât de les énumérer, mais leurs mouvements trahissaient leur allégeance : une flottille ork fonçait droit — ou en tout cas relativement droit — sur le système.

Portrait d'Eti Sigrele Gabatine

L'Adeptus Mechanicus se considère avec fierté comme une méritocratie d'une rigidité mathématique. Les promotions s'obtiennent par la maîtrise démontrée de disciplines techniques complexes. Les grades s'acquièrent par des décennies de dévotion aux mystères de l'Omni-messie. Connaissance, ancienneté et compétence déterminent le rang.

L'ascension d'Eti Segrele Gabatine au titre d'Archmagos Explorator contredit méticuleusement chacun de ces principes.

Gabatine passa la majeure partie de son existence comme Techmagos, dont les capacités techniques dépassaient à peine celles d'un serviteur correctement programmé. Mais quand son supérieur direct s'effondra après avoir frappé les mauvaises runes sur une machine ancienne, Gabatine, par sa simple présence, hérita de sa division. Peu après, son nouveau supérieur et sa suite entière périrent dans une dépressurisation accidentelle à bord du vaisseau qu'ils venaient d'aborder pour rejoindre la flotte exploratrice Cognos Kathartis. Gabatine se retrouva à la charge d'acheminer le vaisseau jusqu'à la flotte. Un flot ininterrompu d'infortune prévint tout opportunité de le relever de son commandement temporaire.

Cette succession d'évènements catastrophiques atteignit son apogée lorsque la Grande Faille déchira la réalité, et engloutit une partie de la flotte. L'ironie du sort plaça ainsi Gabatine à la tête de ce qui restait.

"Adeptus Mechanicus Magus" par Edouard Boccard

Galarn Martagot

L'assemblage — à l'allure aussi hasardeuse que précaire — de ferraille volante et de moteurs surdimensionnés émergea aux confins du système dans un déchaînement d'explosions et de débris. Les vaisseaux de guerre orkoïdes, déjà rustiques dans le meilleur des cas, portaient les cicatrices de batailles récentes. De toute évidence, ils cherchaient soit des pièces pour leurs navires, soit de nouveaux adversaires à combattre. Probablement les deux.

Gabatine savait sa flotte trop endommagée pour affronter une telle menace, ou n'importe quelle menace en réalité : ses croiseurs mutilés maintenaient leurs orbites à grand-peine ; la majorité de leurs systèmes de survie, de propulsion et d'armement étaient inopérants. Ainsi la raison parvint-elle à tempérer la vanité, et ce fut avec la froide logique d'un théorème que la flotte Cognos Kathartis émit son appel de détresse. Elle avait passé les semaines précédentes à calculer — malgré l'inexactitude manifeste de ses cartes — la position probable des relais vox les plus proches du secteur.

Par la grâce de l'Omni-messie, une réponse parvint bien plus promptement que prévu. Nul n'avait douté que la mention dans l'appel de détresse d'un système impérial absent des cartes lui conférerait une importance particulière aux yeux de l'Imperium et de l'Adeptus Mechanicus — raison pour laquelle Gabatine s'était résigné à le mentionner. Toutefois, « prompt » ne figurait dans les qualificatifs habituellement employés pour ces institutions. L'agréable surprise de Gabatine se teinta bientôt d'amertume, car il avait omis de ses calculs un allié d'une autre nature, bien moins fiable encore. Les adeptes du Mechanicus n'avaient jamais porté en leurs cœurs artificiels ces êtres peu vertueux, toujours avides de négocier des contrats lucratifs et rarement enclins à céder leurs trouvailles archéotechnologiques sans compensations coûteuses. Dès l'instant où Gabatine prit connaissance du message, il lui parut évident que cet allié d'infortune deviendrait un nouveau problème à affronter une fois la menace ork contenue.

Ainsi le Libre Marchand Galarn Martagot, capitaine du cargo de classe Galaxy Pugnax — d'aspect si singulier, d'un autre âge — et à la tête d'une flottille modeste mais remarquablement armée, émergea dans le système. La précision de son émergence dans l'espace réel trahissait un Navigator exceptionnel et une impétuosité dangereuse, particulièrement compte tenu de la violence qui agitait encore les marées de l'Immaterium. Le groupe, bien qu'inférieur en nombre, surclassait largement en puissance de feu et coordination tactique la nuée ork disparate et indisciplinée. Le Libre Marchand engagea les peaux-vertes avec une férocité calculée, dispersant leur formation décousue et détruisant plusieurs de leurs vaisseaux les plus menaçants.

Éradiquer l'entièreté d'une flottille ork relevait d'un exploit qui demeurait pour l'heure hors d'atteinte. Les xenos, trop nombreux et trop dispersés, parvinrent à se regrouper à la lisière du système. Pire encore, certains réussirent à établir des têtes de pont sur plusieurs lunes et astéroïdes, transformant ce qui aurait pu rester une escarmouche spatiale en une infestation tenace et durable.

La menace immédiate se trouva pourtant contenue avec très peu de pertes pour Eti Gabatine, qui fut alors contraint de « négocier » avec son sauveur. Martagot jouissait d'une réputation oscillant entre « prodigieusement efficace » et « dangereusement opportuniste ». L'Archmagos, dans une situation fort peu enviable, désœuvré et à la tête d'une flotte à la dérive, en vint à regretter que cette renommée fût en deçà de la réalité : il n'obtint que l'aide strictement indispensable à la survie de son groupe, au prix des droits de réclamation sur tout ce qui pourrait être découvert dans ce système. Ce nouvel échec serait également retenu contre lui lorsque la lumière sur les évènements serait faite bien plus tard.

Portrait de Galarn Martagot

Si Galarn Martagot brandit volontiers ses Lettres de Marque à quiconque les demande, sa suite hétéroclite évoque davantage une bande de pirates qu'un cortège marchand respectable. C'est sans doute cette discordance qui alimente les doutes quant à l'identité de l'actuel Martagot : certains suspectent un usurpateur aussi rusé que peu scrupuleux plutôt qu'un digne représentant de cette prestigieuse caste.

Quoi qu'il en soit, le Libre Marchand et sa Cademandale — un terme de bas-gothique évoquant une meute de jeunes chiens courant sans but apparent — se sont néanmoins bâti une solide réputation dans la région. Leurs tactiques peu orthodoxes compensent les moyens modestes du petit convoi marchand. Martagot possède une connaissance troublante de routes commerciales obscures et fait preuve d'un instinct infaillible pour flairer — puis saisir avant quiconque — les opportunités les plus lucratives.

Intelligent, opportuniste, manifestement étranger aux notions d'honneur, Martagot incarne le Libre Marchand pragmatique pour qui les intérêts de l'Imperium justifient bien des compromis. L'Administratum se satisfait des résultats. L'Inquisition, elle, enquêtera assurément sur ce personnage douteux.

"Rogue Trader" par Inkary

C'est dans ce contexte d'urgence absolue que Gabatine transmit de nouveaux messages, cette fois à la seule attention de ses maîtres sur Mars : chaque moment que la flotte passait immobilisée était un instant perdu au profit de Martagot, qui s'empressait d'établir le contact avec la population locale et commençait à piller le système.

À l'issue d'une attente interminable, les renforts de l'Adeptus Mechanicus débarquèrent. Cette fois, le soulagement de l'archmagos dura précisément trente-huit millièmes de seconde, le temps nécessaire pour constater que des vaisseaux de la Navis Imperialis composaient largement la flotte. Il apprit par la suite qu'il n'avait pas été seul à œuvrer pour contacter le reste de l'humanité : le Libre Marchand avait de son côté déployé des moyens considérables et pris de grands risques pour alerter l'Administratum. En informant l'Imperium de cette découverte majeure, il pouvait initier les procédures bureaucratiques nécessaires à la légitimation de ses revendications de réclamation, s'assurant ainsi que nul — pas même le Mechanicus — ne pourrait aisément l'évincer. Les Lettres de Marque qu'il brandissait portaient les sceaux les plus sacrés, et même Mars devait composer avec de tels documents, pour autant que Terra fût informée.

Nadre Bredasson

La force jointe des Navis Imperialis et Basilikon Astra s'avéra remarquable, surtout dans un contexte de confusion à l'échelle galactique, mais sa présence n'était pas fortuite : il s'agissait d'un détachement mineur de la flotte Quintus, dans le cadre de la Croisade Indomitus. Enlisé dans un conflit qui embrasait le système Orestes et ses alentours, le commandement de la flotte dépêchait pardois des contingents vers les régions voisines. Ils enquêtaient sur l'étendue de l'infestation xenos et les vecteurs potentiels de repli. Ces efforts de reconnaissance permirent d'allouer des ressources pour vérifier l'existence de ce système égaré.

Gabatine saisit la gravité des événements qui avaient frappé l'humanité dans son ensemble à travers l'indifférence de ses confrères envers ses échecs — un simple répit — et les communications franches entre les forces assemblées. En effet, au-delà du présent mystère, les rapports parlaient non seulement de l'ouverture de la Grande Faille et du retour de Roboute Guilliman, mais plus localement d'anomalies stellaires. Des systèmes entiers avaient disparu, d'anciennes routes de navigation s'étaient trouvées subitement altérées. La « redécouverte » d'un système impérial oublié s'inscrivait parfaitement dans ce schéma émergent, quoique incompréhensible.

À l'abri des regards indiscrets et fort aise que ces forces partagent si ouvertement leurs connaissances, l'Œil qui ne Dort Jamais guettait : le contingent impérial dissimulait naturellement en son sein un membre de l'Ordo Xenos, l'Inquisitrice Nadre Bredasson. Bien que sa présence ne fût relatée que par des rumeurs et des murmures dans les couloirs, elle n'en demeurait pas moins redoutée de tous.

Les talents de l'inquisitrice, ainsi que son accès quasi-illimité aux archives de l'Administratum et ses moyens douteux d'obtenir des informations de toute autre source lui permirent d'identifier le mystérieux système : Morologus.

COUCOU

TRANSMISSION INQUISITORIALE

CLASSIFICATION: VERMILLION

CHIFFREMENT: SIGMA-THETA-IX

DE : Inquisitrice Bredasson N., Ordo Xenos

À : Inquisiteur [EXPURGÉ], Ordo Xenos

OBJET : [COORDONNÉES CENSURÉES] — Désignation : Morologus

Tampon de Imperium représentant l'Aquilla et indiquant "Restricted"


Frère en vigilance

Je fais suite à notre échange initial : les informations que tu m'as confiées me permettent ce jour de confirmer que nous avons recouvré le système Morologus, officiellement recensé pour la dernière fois durant l'Âge de l'Apostasie et absent des registres depuis — sans pour autant avoir été dissous ou détruit.

Mais cette identification soulève plus de questions qu'elle n'en résout. Les données historiques concordent partiellement avec les observations actuelles, et plusieurs écarts majeurs demeurent jusqu'ici inexpliqués :

D'une part, le Monde Forge Pyrgopolinices occupe une orbite significativement plus proche de son étoile que ne l'indiquent les vieux registres du Mechanicus. Les paramètres orbitaux actuels devraient rendre l'activité industrielle presque impossible, pourtant les structures observées paraissent intactes et potentiellement opérationnelles.

D'autre part, les archives mentionnent l'existence d'un chantier naval orbital substantiel, décrit comme « une ceinture artificielle digne des grands arsenaux de Mars ». Nulle trace d'une telle infrastructure n'a été détectée. Sa disparition complète défie toute explication conventionnelle.

Plus troublant encore, la position même du système au sein du secteur ne correspond pas aux coordonnées enregistrées. La discordance est bien trop significative pour être expliquée par un phénomène naturel, et mes observations des systèmes voisins révèlent un schéma bien trop ordonné pour être attribuable aux débordements de l'Immaterium : une analyse approfondie des vecteurs de déplacement suggère une logique sous-jacente, un motif qui semble pointer le secteur Nephilim comme son nexus. Le secteur Nephilim lui-même demeure nimbé d'un silence absolu ; tout contact semble impossible pour le moment.

Je formule l'hypothèse — que j'espère erronée — que nous assistons aux premiers stades d'un phénomène à l'échelle sectorielle, peut-être même du segmentum. La nature xenos de cette manipulation stellaire ne fait guère de doute à mes yeux. Rares sont les espèces possédant la maîtrise technologique nécessaire à de telles manœuvres, et les implications stratégiques d'un tel pouvoir sont ... Considérables.

Je recommande la plus extrême vigilance concernant Morologus. Au-delà de son emplacement, son émergence soudaine pourrait s'avérer plus dangereuse que providentielle.

La Lumière de l'Empereur nous guide à travers les ténèbres.

Nadre Bredasson

POST-SCRIPTUM: Le secteur Nephilim exige une investigation prioritaire. Si mes craintes se confirment, nous pourrions faire face à une menace d'une magnitude comparable à celle qui a détruit Cadia. J'attends vos directives concernant l'allocation de ressources supplémentaires.


L'inquisitrice dissémina ses conclusions — discrètement, mais efficacement — jusqu'aux échelons supérieurs de la force jointe. Si l'Ordo Xenos avait pour habitude d'opérer dans l'ombre, il savait aussi partager certaines découvertes, ne serait-ce que pour prévenir des erreurs tactiques catastrophiques.

Le doute persista longtemps au sein de l'Adeptus Mechanicus. Des échanges binaires d'une virulence peu commune déchirèrent le commandement de la flotte du Basilikon Astra. Les incohérences étaient trop nombreuses, et les pertes qu'elles impliquaient trop douloureuses à accepter. Comment égare-t-on un chantier naval orbital ? Quelle tech-hérésie permettrait de voiler un Monde Forge, de le déplacer de plusieurs années-lumière sans contrainte ?

Pourtant les archives du Mechanicus elles-mêmes trahissaient leurs propres certitudes. Des fouilles dans les strates les plus profondes des bibliothèques de données révélèrent des références antiques non seulement au Monde Forge Pyrgopolinices, mais aussi à une station de recherche établie sur Harpax III durant la Grande Croisade — peut-être même plus tôt encore. Ces installations paraissaient alors d'une pertinence notable, suffisante pour justifier leur conversation dans les mémoires sacrées de Mars.

Les semaines s'écoulèrent en débats byzantins, analyses orbitales exhaustives, comparaisons de spectres stellaires. Finalement, confronté à l'accumulation de preuves et à la pression croissante de l'Imperium — qui ne pouvait se permettre d'ignorer un système entier simplement parce que les cartes paraissaient erronées — le Mechanicus capitula. L'Imperium concéda un simulacre de compromis, un geste pour clore les objections plutôt que pour y répondre : le système porterait une désignation modifiée, reconnaissant symboliquement les « changements » observés.

Morologus Novem. Le système portait bien ce nom, aussi absurde que cela parût aux yeux des logiciens. Perdu depuis des siècles, peut-être des millénaires, dans l'indifférence la plus totale, le système avait de nouveau vu la lumière par accident, dans le sillage de la Grande Faille.

Portrait présumé de Nadre Bredasson

L'inquisitrice Nadre Bredasson appartient à l'Ordo Xenos. Au-delà de cette affiliation, l'information se fait rare — probablement à dessein. Elle se serait attiré l'inimitié d'éléments au sein de son Ordre après avoir contesté avec véhémence leurs actions durant la guerre Octarienne. Depuis lors, elle opérerait dans le Segmentum Ultima, bien que son nom n'apparaisse sur aucun rapport officiel.

Beaucoup de ses pairs manient leur autorité avec la subtilité d'un fusil Bolter. Bredasson, en revanche, incarne le poignard qui frappe depuis l'ombre, ou le poison glissé dans la coupe. Elle enquête sans fanfare, cultive l'opacité de ses objectifs, se meut dans les interstices que la lumière n'atteint jamais.

Que Bredasson se trouve actuellement dans le système Morologus Novem pour enquêter, manipuler ou simplement observer demeure une question sans réponse. Nul ne serait assez téméraire pour la lui poser.

"Inquisitor Ina" par Veronica Anrathi

Eu égard du potentiel important du système, autant en ressources qu'en valeur stratégique, le détachement de la flotte Quintus obtint l'autorisation de le sécuriser. Il entreprit alors de multiples opérations, notamment pour sécuriser Pyrgopolinices, éradiquer l'infestation ork persistante, et établir le contact avec les populations locales — car bien qu'elles ne le sussent pas encore, la dîme impériale leur serait bientôt réclamée.

Ulmyllon devint la première destination des équipes de reconnaissance officielle. En tant que seul Monde Ruche du système, il représentait un objectif impérial vital. Mais là où les archives — fragmentaires et obsolètes depuis des millénaires — décrivaient un monde grouillant d'activité, les forces de l'Imperium ne trouvèrent que désolation ; seule une fraction de la population avait survécu.

La vie dans les Cités Ruches était brutale. La malnutrition régnait dans les niveaux inférieurs. L'infrastructure tombaient en décrépitude dans le meilleur des cas ; plus souvent, elle représentait un danger mortel permanent. Les systèmes de recyclage atmosphérique peinaient à maintenir un air respirable. Malgré leur misère, les habitants accueillirent les forces impériales comme on accueille des divinités descendues des cieux.

Bien que fracturées et affaiblies par d'incessants conflits, les autorités locales se prosternèrent pour la plupart devant les émissaires de l'Empereur. Leurs récits, confus et souvent contradictoires, peignaient sur la toile d'un isolement séculaire le rouge du sang versé par de constantes guerres civiles et religieuses. Ulmyllon avait perdu tout contact avec le reste de son système et de la galaxie depuis si longtemps que les raisons mêmes de ces ruptures s'étaient brouillées dans les mythes la superstition.

Quant aux archives locales, là où elles existaient encore, elles ne révélaient qu'une quantité limitée d'informations. Des générations de crises, de massacres et de catastrophes diverses les avaient réduites à des fragments épars, mêlant indistinctement faits et légendes. Le calendrier lui-même témoignait de cette confusion : selon la datation locale, l'humanité demeurait encore en repentance pour l'Apostasie. L'écart avec les calculs méticuleux de l'Ordo Chronos, sur lesquels Bredasson gardait un œil attentif, atteignait plusieurs milliers d'années pour la région.

Laudes Erbette

La confusion entre mythe et réalité dans le folklore local avait inévitablement altéré le Credo impérial. L'Ecclésiarchie, lorsqu'elle eut vent de cette dérive théologique, établit à la hâte des missions de reconquête spirituelle à l'échelle du système. Après tout, si de telles déviances s'étaient montré au contact avec le premier monde, quelles hérésies pouvaient bien suppurer ailleurs ?

Ce que les prédicateurs découvrirent dépassa leurs craintes initiales : si la foi impériale avait perduré, elle avait muté au fil des siècles, entrelaçant sombres fables, croyances hérétiques et interprétations théologiques qu'aucun cardinal n'aurait cautionnées. Les prêtres locaux vénéraient toujours l'Empereur-Dieu, mais leurs liturgies et rituels transpiraient la corruption d'influences xenos ; leurs sanctuaires arboraient des icônes troublantes.

Dès lors, le Cardinal Laudes Erbette, chargé de superviser l'opération, déploya une mission de purification d'une ambition monumentale. Les prêcheurs tonnaient depuis les places publiques, les confesseurs cataloguaient les déviances, tous sous le regard inquisiteur des forces de l'Adepta Sororitas, toujours enclines à asséner plus que des sermons aux infidèles.

Pourtant affamés et à bout de souffle, les habitants acceptèrent chaleureusement ces « corrections » comme l'étreinte rassurante de l'Empereur qui leur avait tant manqué. Dans ces circonstances, les rares murmures de mécontentement se révélaient négligeables, et la révolte qui allait bientôt éclater n'en fut que plus déconcertante.

La restauration du seul et véritable Credo impérial progressait à une vitesse fulgurante. Erbette s'affairait déjà à rédiger un rapport triomphal — qui constituerait à n'en pas douter l'apogée de ses mémoires. Tout allait pour le mieux, lorsque que la présence accrue de l'Adeptus Mechanicus déclencha une série d'événements qui allait balayer l'intégralité de ses efforts.

Portrait de Laudes Erbette

Le cardinal Laudes Erbette incarne la foi de l'Adeptus Ministorum dans toute sa ferveur intransigeante. Sa carrière, tel qu'il aime le narrer, se compose d'une succession triomphale de campagnes de conversion à travers l'Imperium. Chaque récit met en scène son acuité théologique, son zèle inébranlable, sa capacité exceptionnelle à ramener les égarés dans le giron de l'Empereur.

Ce que le cardinal omet systématiquement de mentionner, c'est qu'aucune de ces campagnes n'a jamais perduré après de son départ. Les successeurs d'Erbette découvrent généralement que sa « réussite » repose essentiellement sur le recours décomplexé à une répression absolue et non une conversion authentique.

Le cardinal n'en demeure pas moins puissant, dangereux, et profondément convaincu de son propre génie spirituel. Sa vanité n'a d'égale que son fanatisme, et les deux se nourrissent mutuellement pour créer un personnage aussi pathétique dans son aveuglement que redoutable dans son autorité. L'Ecclésiarchie le dépêche là où le feu purificateur doit consumer l'hérésie. Que les flammes ne laissent que des cendres stériles plutôt qu'une foi renouvelée ne semble aucunement faire partie de ses prérogatives.

L'œuvre de l'Adeptus Ministorum semblant toucher à sa fin, les technoprêtres du Mechanicus commencèrent à se déployer ouvertement à travers les Cités Ruches. Leurs servo-crânes sillonnaient les coursives, cataloguaient, calculaient, évaluaient. Leurs délégués rencontraient les gouverneurs, car sans plus attendre, la main-d'œuvre nécessaire à la renaissance du Monde Forge Pyrgopolinices devait être sélectionnée.

Immédiatement, les relations avec la population se détériorèrent : la condescendance envers la culture locale — barbare et ingénue — avait conduit l'Imperium comme le Mechanicus à ignorer les avertissements pourtant nombreux. Ainsi, pour les habitants d'un grand nombre de Cités Ruches, les « Nécromanciens de Fer » avaient été la source des maux dont le système entier souffrait depuis des siècles, le privant ultimement de la Lumière de l'Empereur. Les anciens crachaient à la mention de Pyrgopolinices. Les parents serraient leurs enfants contre eux quand les silhouettes encapuchonnées des technoprêtres traversaient les places publiques.

Cette aversion semblait profondément enracinée dans la mémoire collective, bien au-delà d'une simple méfiance envers la technologie. Les légendes parlaient d'enlèvements massifs, de machines dévorant les hommes, d'abominations métalliques srugissant des entrailles du monde pour chasser les vivants. Bien plus tard — bien trop tard — et à la lumière de la tragédie à venir, Bredasson conjectura que les récits traditionnels avaient probablement amalgamé technoprêtres, Hommes de Fer et peut-être même des entités xenos.

L'Adeptus Mechanicus balaya ces superstitions d'un geste mécanique. Les archives étaient formelles : Ulmyllon était la source historique des forces de labeur pour le Monde Forge, la tradition se perpétuerait. Un accord fut conclu avec les gouverneurs — ou plutôt imposé. Des levées commenceraient sous peu. Des millions d'individus seraient transférés vers Pyrgopolinices pour œuvrer à sa renaissance.

La Purifiée et la Battue

De toutes parts, de violentes révoltes éclatèrent, mais le plus déconcertant pour les forces impériales fut le soutien indéfectible — certains diraient héroïque — d'une part significative de l'oligarchie dirigeante envers son peuple. Ces mêmes familles qui s'étaient immédiatement inclinées avec révérence devant les émissaires de l'Empereur préféraient désormais la mort plutôt que de livrer leurs sujets au Mechanicus.

L'apparente simultanéité de la rébellion et sa coordination interrogèrent. L'idée d'une interférence xenos perfide ou démoniaque fit rapidement consensus au sein des forces impériales, les absolvant confortablement de tout blâme. En conséquence, elles agirent promptement, et dans un souci d'économie de temps et de ressources, identifièrent deux des Cités Ruches où le soulèvement semblait le plus significatif — des cités jumelles — pour les vitrifier depuis l'orbite.

Brutale, cruelle et inexorable, la répression brisa les habitants. D'autres foyers de rébellion s'éteignirent ou se turent d'eux-mêmes. On sonna le glas de lignées entières de gouverneurs séditieux, sous le regard horrifié d'une population impuissante. Les oligarques les plus zélés, pour leur part, saisirent cette opportunité pour combler le vide ainsi créé et renforcer leurs positions.

Un décret impérial scella définitivement le sort des cités jumelles : mentionner leur existence constituerait un crime passible d'exécution sommaire. Elles disparaîtraient des archives, des cartes, de la mémoire. Ulmyllon n'avait jamais compté plus de trois Cités Ruches. Affirmer le contraire tenait de l'hérésie.

Ainsi s'acheva la pacification d'Ulmyllon, et l'effort de guerre reprit comme prévu. La conscription des travailleurs débuta, organisée cette fois avec une efficacité implacable sous la supervision conjointe de l'Adeptus Arbites et du Mechanicus. Des millions d'âmes furent acheminées vers Pyrgopolinices, où des forges dormantes attendaient d'être rallumées.

L'Adeptus Ministorum redoubla d'effort dans ses missions de purification, veillant à ce qu'aucune déviance théologique ne persistât pour contaminer les générations futures, même s'il ne faisait aucun doute que les entrailles des Cités Ruches abritaient encore les derniers mécréants.

Morologus Novem était désormais pleinement intégré à l'Imperium, lavé de ses péchés par le feu purificateur et le sang versé. Les rapports officiels mentionneraient une « réintégration réussie malgré quelques incidents mineurs ». Les pertes civiles seraient jugées « acceptables dans le contexte ». Et personne, absolument personne, ne poserait de questions sur les deux cratères vitrifiés qui suintaient à la surface d'Ulmyllon comme des cicatrices fraîches.